Entraide, délégation de la poursuite pénale et respect de la personnalité des employés de banque : des questions sur la pratique de l’OFJ
Dans le complexe d’affaires « Petrobras », le Ministère public de la Confédération (MPC) avait diligenté une procédure pénale domestique dans le contexte de laquelle avait notamment été recueillie une documentation bancaire complète ; celle-ci avait été produite sans caviardage, dès lors précisément qu’elle était destinée à être utilisée dans cette procédure suisse. Ultérieurement, la procédure suisse avait été déléguée aux autorités judiciaires brésiliennes. La documentation bancaire recueillie avait alors été également transmise, sans caviardage. Comme il fallait s’y attendre, des documents comportant les noms d’employés de banque, non inquiétés dans la procédure, ont été exposés publiquement, au travers de la publication sur Internet de pièces de la procédure déléguée. Ni l’Office fédéral de la justice (OFJ), responsable des délégations, ni le MPC n’avaient prêté attention aux problèmes liés à la protection de la personnalité des employés de banque à l’occasion d’une telle délégation, alors que la question se pose à l’évidence lorsqu’une entraide pénale est en cause.
En entraide, l’art. 67a EIMP interdit la transmission spontanée à une autorité étrangère de moyens de preuve touchant au domaine secret ; de même, les dispositions relatives à l’entraide requise imposent-elles de donner aux personnes touchées par une requête d’entraide le droit d’être entendu.
Partant, il est exclu de transmettre, par le moyen d’une demande d’entraide adressée à l’étranger, des moyens de preuve qui ne pourraient être remis à l’autorité étrangère qu’après l’entrée en force d’une décision de clôture, portant sur la transmission à l’étranger de ces moyens de preuve, en exécution régulière d’une demande d’entraide adressée à la Suisse et comportant le respect du principe de la proportionnalité (notamment au travers du tri, voire du caviardage des documents transmis) et celui du droit d’être entendu des personnes touchées par l’acte d’entraide requis.
Or, le respect des intérêts légitimes de tiers (qui découle en particulier du principe de la proportionnalité) est un élément qui doit être pris en considération, y compris dans le contexte d’une procédure pénale nationale ; a fortiori, cela vaut-il lorsque cette procédure est déléguée à un Etat étranger ; plus particulièrement encore lorsqu’il est de notoriété publique que cet Etat étranger expose publiquement, de manière licite ou non, le contenu des documents transmis.
Les Tribunaux fédéraux ont développé à cet égard une abondante jurisprudence, dont, mutatis mutandis, les principes sont manifestement applicables également dans le contexte d’une procédure pénale déléguée.
Il est ainsi indiscuté que « les données révélant l’identité des employés de banque tombent sous le coup des données personnelles au sens de l’art. 3 let. a et b LPD et [que] leur transmission constitue une communication visée à l’art. 3 let. f LPD. L’intimé dispose donc également sous l’angle de la protection des données d’un intérêt digne de protection à ce qu’il soit vérifié que la communication de ses données personnelles soit conforme aux règles légales » (ATF 143 II 506, c. 5.2.2).
Indépendamment du point de savoir si la LPD est applicable en tant que telle au cas de la délégation d’une procédure pénale, les principes qui sous-tendent cette jurisprudence le sont clairement, dans la mesure où ils trouvent leur source notamment dans le respect du principe de la proportionnalité, applicable à l’ensemble de l’ordre juridique.
Or, le Tribunal fédéral a jugé que : « […] le critère de la nécessité est ainsi lié au principe de la proportionnalité. L’autorité requise doit donc se demander si les documents requis concernent bien les faits dépeints dans la requête et s’abstenir de transmettre des documents qui sont assurément dénués d’importance, en particulier pour protéger les personnes qui sont réellement étrangères à l’infraction de base de la demande. » (ATF 144 II 29, c. 4.2.1).
En application de ces principes, le Tribunal fédéral a retenu que, hormis quelques cas particuliers : « […] la jurisprudence a souligné que la transmission du nom d’employés de banque est en principe exclue, car cette information n’a dans la règle rien à voir avec la question fiscale qui motive la demande (cf. ATF 142 II 161 consid. 4.6.1 p. 180; arrêt 2C_690/2015 précité consid. 4.5). » (ATF 144 II 29, c. 4.2.4).
Lorsque les employés mentionnés dans les documents transmis sans caviardage aux autorités délégataires n’ont rien à voir avec les questions pénales objet de la procédure déléguée, le respect des règles et des principes mentionnés ci-dessus doivent conduire l’autorité compétente à soustraire ces données du dossier pénal transmis, sans même évoquer la nécessité à cet égard de respecter le droit d’être entendu des personnes concernées.
En résumé, les modalités propres à la délégation d’une poursuite pénale à une autorité étrangère ne doivent pas servir à éluder, volontairement ou non, les règles liées à la protection de la personnalité de tiers non impliqués dans les infractions pénales objets de la délégation. Il y a lieu à cet égard de traiter leur situation comme en matière d’entraide pénale et, dans tous les cas, de respecter le droit d’être entendu des intéressés.
Proposition de citation : Alain Macaluso, Entraide, délégation de la poursuite pénale et respect de la personnalité des employés de banque : des questions sur la pratique de l’OFJ in www.droitpenaldesaffaires.ch, du 20 juin 2019.