Interdiction de la double poursuite pour un même complexe de faits en matière financière (rapport entre une procédure d’enforcement et une procédure pénale)
Dans une affaire Nodet c. France du 6 juin 2019, la CourEDH a condamné la France pour violation de l’interdiction de la double poursuite en raison d’une condamnation prononcée par l’autorité pénale ayant fait suite à une procédure financière diligentée par l’Autorité des marchés financiers (AMF).
En novembre 2009, l’AMF avait condamné M. Nodet, un analyste financier, à une sanction pécuniaire de EUR 250’000 pour avoir manipulé le cours d’une action (faits constitutifs d’une entrave au fonctionnement régulier d’un marché financier). Parallèlement à cette procédure « financière », le procureur de la République, informé des faits par l’AMF, avait ouvert, en avril 2009, une enquête pénale à l’encontre de M. Nodet pour manipulation du cours d’une action. A la suite de celle-ci, M. Nodet fut définitivement condamné par les juridictions pénales en janvier 2014 à une peine d’emprisonnement avec sursis. M. Nodet a contesté cette condamnation devant la CourEDH, faisant valoir qu’elle violait le principe ne bis in idem.
Le principe ne bis in idem découle du droit au procès équitable et interdit qu’un justiciable soit puni ou poursuivi deux fois en raison d’un même comportement. Cela comporte qu’une procédure ouverte à la suite d’une première procédure en raison des mêmes faits (identité des faits), visant le même auteur (identité des parties) et menant également à l’application d’une peine (identité de l’objet) est contraire à l’art. 4 du protocole n°7 de la CEDH.
La CourEDH considère cependant qu’il n’est pas contraire à l’art. 4 du protocole n°7 de la CEDH qu’un même comportement engendre deux procédures distinctes si celles-ci peuvent être considérées comme participant d’un seul et même système. Cela vaut pour autant qu’il existe un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre les deux procédures et qu’elles forment un tout cohérent (cf. à partir du § 131 l’arrêt de principe A et B c. Norvège, du 15 novembre 2016). Tel est le cas, notamment en Suisse, du retrait d’admonestation du permis de conduire (appartenant au champ du droit administratif) prononcé en sus d’une condamnation pénale « classique ».
Dans l’affaire Nodet, la CourEDH a constaté que les deux sanctions prononcées revêtaient bien un caractère pénal et surtout qu’elles étaient issues du même complexe de faits. Il n’y avait cependant pas violation de l’art. 4 du protocole n°7 de la CEDH pour autant, pour les motifs rappelés plus haut. L’analyse de la Cour a donc porté sur la proximité temporelle et matérielle entre les procédures ouvertes par l’AMF et par le procureur de la République.
S’agissant de la question du lien « matériel », la CourEDH a estimé que la mixité des procédures s’expliquait du fait que le comportement à l’origine de celles-ci était, et de manière prévisible, propre à engendrer les conséquences juridiques auxquelles M. Nodet avait fait face. Ensuite, la CourEDH s’est intéressée à l’existence ou non de buts complémentaires attachés aux deux sanctions. Or la CourEDH a noté que, dans une décision du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel français avait considéré que les dispositions législatives réprimant le délit d’initié et le manquement d’initié tendaient à punir les mêmes faits, qu’ils les définissaient et les qualifiaient de la même manière, qu’ils protégeaient les mêmes intérêts sociaux et, enfin, qu’ils étaient susceptibles de faire l’objet de sanctions qui n’étaient pas de nature différente. Dans le cas de M. Nodet – un délit de manipulation au sens de l’article L. 465-2 du code monétaire et financier – l’identité des buts visés par les procédures devant l’AMF et devant les juridictions pénales, qui concernaient des aspects identiques de l’acte préjudiciable, excluait la complémentarité exigée pour constater l’existence d’un lien suffisamment étroit du point de vue matériel entre les deux procédures.
Par ailleurs, la CourEDH a relevé que la sanction prononcée par l’AMF n’avait pas été prise en compte par la juridiction pénale. En outre, le fait que le tribunal correctionnel se soit largement référé aux éléments de preuves constitués par l’AMF témoigne plus d’une répétition des moyens de preuves que d’une complémentarité entre les deux procédures.
Enfin, s’agissant du lien temporel, qui doit être examiné et satisfait quand bien même le lien matériel le serait, la CourEDH a jugé qu’en l’espèce, les deux procédures avaient été conduites partiellement parallèlement. La procédure pénale s’est en effet étendue sur plus de quatre ans après la fin de celle de l’AMF. Le lien temporel ne saurait dès lors être considéré comme suffisamment étroit.
C’est donc sans surprise que la CourEDH a reconnu la violation de l’interdiction de la double poursuite et de la double condamnation (art. 4 du protocole n°7 de la CEDH).
Cet arrêt n’est évidemment pas sans intérêt pour le régulateur et les juridictions suisses, devant lesquels les problèmes posés – sinon toujours les réponses apportées – peuvent être similaires…
Proposition de citation : Alain Macaluso/Hadrien Monod, Interdiction de la double poursuite pour un même complexe de faits en matière financière (rapport entre une procédure d’enforcement et une procédure pénale) in www.droitpenaldesaffaires.ch, du 20 juin 2019.